Notre société médiatico-politique est ainsi faite. Quoi que dise, quoi que décide le chef de l’Etat (quel qu’il soit d’ailleurs), l’on retrouve à chaque fois le même scénario. La conférence de presse de jeudi dernier n’échappe pas à la règle, avec des macronistes enthousiastes, des opposants de droite et de gauche campant sur leur posture, des gilets jaunes toujours aussi rebelles, sur fond d’une France de plus en plus fragmentée et, qui a vu s’étioler ses références culturelles communes, comme l’a montré récemment le politologue Jérôme Fourquet dans son livre L’Archipel français. Comme si, pour ceux qui sont au pouvoir ou qui veulent y accéder, l’objectif premier étant de conforter son noyau politique, atteindre les 25 % de suffrages exprimés pour s’imposer ensuite. On est loin du désir de Valéry Giscard d’Estaing à la fin des années 1970 de rassembler deux Français sur trois, même si, à l’époque, il n’a guère convaincu.
Le Grand Débat n’a donc pas permis d’établir un vrai dialogue au sens philosophique du terme, à savoir produire un diagnostic intégrant les arguments des uns et des autres en vue d’élaborer une conclusion où chacun puisse se retrouver. Avec pour objectif final de fixer un cap partagé par le plus grand nombre. Cet épisode me rappelle un livre iconoclaste publié en 1995, et ô combien d’actualité !, par le sociologue Michel Crozier : La crise de l’intelligence : essai sur l’impuissance des élites à se réformer. L’auteur de La Société bloquée en appelait à une révolution intellectuelle, dénonçant les grands corps et les grandes écoles à la formation contre-productive, car préparant plus à la réussite personnelle qu’aux responsabilités. Il évoquait la suppression de l’ENA, mais n’y croyait guère, et considérait qu’une réforme bien conduite s’appuyant sur l’écoute des acteurs permettait de transformer les mentalités et le système. C’était au siècle passé, une éternité !