Dans son livre Famine rouge (Grasset-2019), l’historienne Anne Applebaum décrit l’implacable mécanique qui a mené à la famine ukrainienne de 1931/1932, et qui explique en grande partie les événements actuels. L’Ukraine, un pays agricole aux fertiles terres noires, qu’on appelle tchernoziom, et que vantait, cinq siècles avant notre ère, Hérodote : « Il n’est pas de meilleures récoltes que le long de ses rives, et là où le grain n’est pas semé, l’herbe est la plus dense du monde ». L’Ukraine, un pays de paysans vivant tout au long de leur histoire au rythme de l’oppression, des rébellions et de la soumission. Situation qui s’aggravera après la révolution bolchévique. Déjà, sous Lénine, des réquisitions céréalières sont organisées, aggravées sous Staline qui voudra transformer par la force les paysans en prolétariat, les forçant à céder leur terre et à rejoindre les fermes collectives, en même temps qu’il fermera les lieux de culte, éliminera les élites intellectuelles, et marginalisera la langue ukrainienne. Tout contestataire est alors considéré comme un nationaliste, un traître, un saboteur ou un espion, et souvent envoyé au Goulag.
La conséquence de cette collectivisation, c’est ce chaos qui mena à cette dernière grande famine de l’Europe qui fera en Ukraine près de 4 millions de morts, dont l’immense majorité était des gens de la campagne. Si bien qu’en 1941 quand les Allemands occupent l’Ukraine, ils sont considérés, dans un premier temps, par la population ukrainienne comme des libérateurs. Certes elle va vite déchanter. Mais ce traumatisme de la famine va marquer l’Ukraine. A Kiev, le monument commémorant cette tragédie, complétement occultée par la Russie jusqu’en 1991, symbolise cette détestation des Ukrainiens pour les Russes. Comme un clin d’œil de l’histoire, cette guerre de Poutine pourrait avoir pour conséquence des crises frumentaires au Maghreb, au Liban, en Egypte…, pays très dépendants des exportations de céréales russes et ukrainiennes. Comme le gaz et le pétrole, le blé s’impose à nouveau au cœur des enjeux stratégiques majeurs. Une constante dans l’Histoire !