Moine paysan

C’est une véritable reconversion qu’a vécu le frère François Cassingena-Trévedy. Après quatre décennies de vie monacale dans des abbayes, il s’est installé dans un village de 26 âmes des monts du Cantal, tout en restant attaché canoniquement à sa communauté bénédictine. Dans un magnifique ouvrage, Paysan de Dieu (1), à la fois ode poétique à la terre, au travail manuel, et surtout aux hommes de la terre, il raconte une année de sa vie auprès des paysans cantaliens, où se mêlent intimement le temps liturgique et le temps des saisons et des travaux agricoles.

Dès les premières lignes, on comprend l’ampleur du changement. « La page est tournée. Tout ce qui précède n’était sans doute que préface… Ma vie intellectuelle est révolue… elle est défunte », écrit ce normalien, docteur en théologie, auteur de nombreux livres, traducteur des Pères de l’Eglise syriaque…, comme pour s’éloigner d’un monde dont les tumultes bavards lui sont de plus en plus étrangers.

Et la greffe a pris auprès de ces familles paysannes du plateau du Cézallier.  Comme la philosophe Simone Weil, qui avait embrassé la condition ouvrière, ce moine n’hésite pas régulièrement à enfiler la cotte pour aider à la traite, soigner les animaux, entretenir les clôtures, participer à l’estive… « Ma disponibilité gratuite aux uns et aux autres représente désormais à mes yeux la forme essentielle et quasi obligatoire de ma vie religieuse », écrit ce marcheur invétéré qui se définit comme un « ermite social », aime la puissance naturelle de la terre, la neige « une horloge hâtant l’humanité », le feu dans la cheminée qu’il compare à une plante vivace, son horloge pour restaurer le temps, son jardin des simples, l’agressive et attachante odeur de la bouse, ce paradis trapu et rude du haut duquel on domine le monde, la société des vaches de feu, mais surtout les gens de ce pays, humbles, taiseux et chaleureux.

La traduction, qu’il a commencée des Géorgiques, ce manuel poétique traitant des travaux des champs écrit par Virgile peu avant l’ère chrétienne, patientera. Il a préféréd’abord tester sa nouvelle condition de paysan.

1/ Paysan de Dieu – François Cassingena-Trévedy – Albin Michel