Dans ce déroutant scandale des lasagnes à la viande chevaline, le fait de nommer cette viande, minerai, nous dit bien des choses sur des façons de faire particulièrement « cavalières ». Par prudence, j’ai consulté le dictionnaire pour vérifier s’il n’y avait pas un autre sens à minerai. Eh bien non ! Le minerai est bien issu du règne minéral, et non du vivant qu’il soit végétal ou animal. Cette transgression sémantique des règles de la nature amena tout naturellement nos usurpateurs à contrevenir tout aussi allègrement à la loi des espèces, en faisant passer les équidés pour des bovins. Pour ces inventeurs de circuits commerciaux complexes à nous donner le tournis, l’agriculture est minière, l’élevage un gisement de protéines, l’agro-alimentaire de la métallurgie, permettant de réaliser quantité d’alliages. Et la minéralisation est le moyen, non de transformer le métal en minerai, mais cette viande en abondantes pièces de métal jaune sonnantes et trébuchantes. Formidable filon donc, non seulement au sens premier du terme – masse de substances minérales dans le sol -, mais surtout dans son sens second, l’occasion de s’enrichir. Car ces nouveaux alchimistes ne s’y trompent pas : le métal est aussi un moyen d’échange. Echanges frauduleux, car, tant pour les pauvres paysans roumains contraints de se débarrasser de leurs chevaux pour une trentaine d’euros, mais aussi pour les consommateurs, que l’on prend pour des nigauds, le terrain est miné. Dérives d’une langue ! Perversités d’un système inique ! L’helléniste Jacqueline de Romilly qui avait fait de la défense de la langue française son dernier combat, parlait des « merveilles d’une langue exacte et limpide ». On en est loin. Puisse ce piteux épisode nous faire comprendre que défendre les consommateurs comme défendre notre langue, c’est combattre pour une certaine idée de la civilisation.