Ces derniers jours, Le Monde publiait une annonce de l’ENA, (École Nationale d’Administration) proposant un cycle de formation destiné aux décideurs, pour leur permettre « un accès aux secrets de fabrication de l’Europe ». Y aurait-il donc des « secrets de fabrication » de l’Europe, qui plus est, réservés à une élite ? Aveu oh combien révélateur, qui explique sans doute l’indifférence de plus en plus ouvertement affichée d’une majorité de l’opinion publique à l’égard de la construction européenne ! Voici donc ce défi, que l’on pouvait considérer comme la dernière grande utopie de la fin du Xxème siècle, réduit à des secrets de fabrication, laissant supposer un part de mystérieux, d’inintelligible et d’impénétrable dans cette aventure, à ne surtout pas mettre dans toutes les mains. Il y a vingt ans, l’historien Jean-Baptiste Duroselle avait bien senti la dérive, constatant en conclusion de sa remarquable synthèse L’Europe, histoire de ses peuples, ouvrage paru chez Perrin : « Ce que l’on peut reprocher à l’Europe actuelle est que, attirant de remarquables élites intellectuelles, sociales et politiques, elle n’a jamais suscité la passion des peuples ».
Le jour, où je lisais l’annonce, je rencontrais à Palladuc, Thérèse Debatisse, – la veuve de Michel Debatisse, figure marquante du syndicalisme agricole de la deuxième moitié du Xxème siècle -, qui m’expliquait l’engagement européen profond de son mari qui a été parlementaire européen et d’elle-même. Un engagement toujours aussi inébranlable pour Thérèse Debatisse, depuis 70 ans, lorsque la ferme de ses parents à Bailleul dans le Nord était en partie occupée par les Allemands, et que son père lui avait dit : « Un jour, il faudra faire la paix et construire l’Europe, alors ce soldat, il faudra le regarder différemment ».
Au fond, le véritable fondement de l’Europe n’est-il dans ce propos du père de Thérèse Debatisse, plutôt que dans les stupéfiants et non moins inquiétants secrets de fabrication…