Tony Blair ne sera pas peut-être pas le futur président de l’Europe, mais d’ores et déjà il a gagné idéologiquement. Lorsqu’il était premier ministre, il déplorait qu’une vache reçoive 14 fois plus de subventions européennes qu’un chercheur. Dans un document récent, la Commission dévoile sa réflexion budgétaire pour l’après 2013, et rejoint les thèses de Tony Blair : priorité aux « politiques à haute valeur ajoutée » au détriment de l’agriculture, dont la part dans le budget aura été réduite de 61 à 32 % entre 1988 et 2013.
Pilier de la construction européenne, pendant des décennies, l’agriculture est désormais ramenée à hauteur de sa contribution à l’économie européenne, négligeant cet aspect que « l’agriculture est plus que l’agriculture », comme l’écrit Edgard Pisani dans Le Vieil Homme et la Terre.
Au début des années 1960, l’Europe, alors déficitaire, offrait de vastes perspectives à ses agriculteurs qui furent les premiers et, à ce jour, demeurent les seuls à accepter que leurs revenus soient décidés à Bruxelles. Mais la lune de miel entre les agriculteurs et l’Europe sera de courte durée. Dès la fin des années 1960, excédents et désordres monétaires grippent la machine. Suivront la mise en place des quotas laitiers en 1984, et la réforme de la PAC sur fond de négociations commerciales en 1992.
Désorientés, les agriculteurs, d’abord promoteurs enthousiastes de la construction européenne, se montreront parmi les plus réticents tant à l’égard du traité de Maastricht en 1992 que du traité constitutionnel en 2005. Aujourd’hui bien des chefs de gouvernement européens, prêts à sacrifier l’agriculture à l’autel d’un libéralisme débridé, le leur rendent bien. Alors l’alternative à cette dérive libérale serait une renationalisation même partielle de la PAC. Au-delà du démantèlement de la seule politique véritablement intégrée, cela signifierait l’échec flagrant d’une Europe, qui semble renier ses origines.