Récemment j’ai été invité à exprimer ma vision des OGM (organismes génétiquement modifiés) auprès d’un groupe de travail de l’Institut des biotechnologies végétales, composé de chercheurs et de responsables d’organismes très engagés en faveur des OGM. Je trouvais la démarche intéressante et notais avec satisfaction l’esprit d’ouverture qui les animait. Observateur de l’évolution de l’agriculture depuis plus de trois décennies, j’avais un regard un peu différent voire décalé, à la fois admiratif des prouesses scientifiques – j’avais notamment en souvenir cette journée passée au milieu des années 1980 avec les chercheurs de Plant Genetic Systems, une société de biotechnologies belge, installée au sein de l’université de Gand, et qui, la première, avait réussi le transfert d’une bactérie dans le patrimoine génétique d’un plant de tabac -, mais aussi, par la suite, interrogatif, non seulement sur les conséquences sur le temps long, en termes de santé publique, mais aussi environnementales, économiques, sociales et juridiques, celles notamment liées à la brevetabilité du vivant (que je considère comme l’un des plus grands scandales de notre époque) et à la dépendance accrue des agriculteurs vis-à-vis des firmes de l’agrofourniture.
Au fil des années, j’avais suivi ce dossier avec beaucoup d’intérêt, déçu aussi par la tournure des événements, notamment l’incapacité de faire dialoguer ensemble de manière sérieuse et sans invectives partisans et opposants aux OGM, malgré la conférence de citoyens. Beaucoup dans le monde de la recherche considèrent que le citoyen lambda est incapable de comprendre la subtilité de ces nouvelles technologies. C’est sans doute ce mépris pour la démocratie et les citoyens, qui a fait capoter dans l’opinion publique les OGM. Car, dans les années 1980, la voie semblait largement ouverte à ces nouvelles technologies. A l’époque, les écologistes et les militants de la Confédération paysanne ne manifestaient pas d’oppositions marquantes aux OGM, considérant qu’ils pouvaient contribuer à faire baisser l’utilisation des pesticides.
Alors pourquoi ce basculement au milieu des années 1990 ? Il y a certes le contexte : le sang contaminé, la vache folle, l’amiante, Tchernobyl, les salmonelloses, avec, trop souvent, ces postures plutôt cavalières d’experts pétris de certitudes, assénant bien souvent des contre-vérités. Quant aux entreprises de biotechnologies, elles sont également en grande partie responsables du basculement de l’opinion. Elles montraient trop souvent une certaine arrogance, pour non pas proposer mais imposer leurs vues, n’hésitant pas à mettre en avant le fait que les biotechnologies allaient résoudre le problème de la faim dans le monde. Une malhonnêteté intellectuelle, lorsque l’on sait que le problème de la faim dans le monde n’est pas un problème technique mais un problème économique et social de redistribution. Il y avait aussi la suffisance de beaucoup de chercheurs face à ceux de leurs collègues qui se posaient des questions. En approchant comme journaliste le monde de la recherche, il y a trois décennies, je ne m’attendais certes pas y trouver l’état d’esprit des salons littéraires des siècles passées, la mondanité en moins, mais je ne m’attendais pas non plus à découvrir une concurrence exacerbée entre chercheurs et les mêmes formes de violence que dans le monde de l’économie.
Dans ce contexte, j’étais tenté d’accorder ma confiance plutôt à un chercheur qui prend des risques pour sa carrière en exprimant des réserves à propos de ces nouvelles technologies, que son collègue ne manifestant aucun doute et dénigrant jusqu’à la caricature l’attitude rebelle des sceptiques. Dans le même temps, j’étais mal à l’aise face aux fauchages de champs d’expérimentation.
Malgré un regard bien différent que celui de mes interlocuteurs, le dialogue s’est bien passé, du moins jusqu’à ce que je leur lise en guise de conclusion le texte d’un chercheur de l’INRA, publié en 1992 dans la très savante revue Le courrier de l’environnement de l’INRA. L’auteur écrivait : « Dans le domaine du génie génétique comme par le passé dans d’autres, les mêmes principes, construits à partir des mêmes postulats simplistes, risquent d’aboutir à un système fermé sur lui-même où toutes les déviations pourraient donc survenir », avant de préciser, de manière ironique, les quatre postulats qui guident le travail des chercheurs :
« 1/ Le génie génétique est une science complexe où, seuls, les quinze chercheurs spécialistes comprennent de quoi ils parlent. Cette science n’est pas compréhensible par le commun des mortels.
2/ La population s’inquiète de cette science, il ne faut donc pas en parler.
3/ La recherche travaille dans l’urgence. Chaque jour a son importance dans la lutte contre les dépôts des brevets.
4/ Quiconque souhaite un débat sur le contrôle du génie génétique, veut en fait la mort de cette science. »
Mes interlocuteurs dirent être d’accord à 100 % avec ces postulats et signer des deux mains ce texte, oubliant le ton ironique de l’auteur. Je les quittais donc un peu déçu et conforté dans mon regard critique de citoyen exigeant…