Johannes Nitschke s’en est allé le 18 juillet 2015, à 73 ans. Il avait été longtemps maire de Grasleben et de la Samtgemeinde (sorte de canton regroupant quatre autres communes proches de Grasleben), et avait été l’initiateur en Allemagne du jumelage avec le Canton d’Oulchy-le-Château. Je l’avais rencontré la première fois en septembre 1980. J’étais arrivé un peu en retard. Son premier geste avait été de me faire remarquer avec autorité, tapant du doigt sur sa montre, mon retard. Je m’étais dit en moi-même : « C’est mal parti ». Et puis, au fil des mois et des années, nous avons appris à nous connaître. Il ne parlait pas français, je bredouillais la langue de Goethe, mais nous nous comprenions. En plus de trente ans de collaboration, nous avons appris à nous apprécier et avons bâti ensemble un des plus beaux fleurons de la vie associative dans le canton d’Oulchy-le-Château, une terre tragiquement marquée par les deux conflits mondiaux, et dans la Samtgemeinde de Grasleben, jusqu’en 1989, située aux confins du Rideau de fer, qui séparait les deux Allemagnes. En un peu plus de trois décennies, plus de 300 jeunes Français et autant de jeunes Allemands ont participé à des échanges.
Johannes était catholique pratiquant dans une région à 80 % protestante. Il a assisté souvent avec son épouse à la messe dominicale en l’église d’Oulchy-le-Château. Avec les catholiques de son village, il avait construit l’église Saint Norbert de Grasleben. Et lors d’une de ses premières venues en France, il avait souhaité visiter l’abbaye de Prémontré dans la forêt de Saint-Gobain, là où Norbert de Xanten (originaire de Rhénanie du Nord) avait fondé l’Ordre des Prémontrés, appelé aussi les Norbertins.
J’ai parfois pensé que Saint Norbert y était peut-être pour quelque chose dans notre jumelage, tant il faisait le lien entre nos deux régions. La mère de Norbert descendait des Comtes de Guise et appartenait à la noblesse picarde du Vermandois. Après la fondation des Prémontrés, Norbert fut nommé archevêque de Magdebourg, non loin de Grasleben. Entre Magdebourg et Saint-Gobain, Norbert avait mené des missions pastorales dans cette Europe de la spiritualité médiévale, de la Picardie à la Saxe en passant par les Flandres, le Brabant et la Hollande.
Là où il est désormais, je crois que Johannes doit raconter à Saint Norbert ces lieux qu’il a visités huit siècles après ce prélat, européen avant l’heure.