Je connaissais un peu Cabu. Je l’avais rencontré, une première fois, en 2010, au siège de Charlie Hebdo, après la traditionnelle conférence de rédaction du mercredi matin. A l’époque j’écrivais Les Combats de l’abbé Pierre et je savais qu’il avait de l’affection et de l’admiration pour l’action et les valeurs que portait ce curé humaniste et anticlérical. Je trouvais intéressant d’aller un peu plus loin, tant les deux hommes semblaient a priori si éloignés l’un de l’autre. Au téléphone, il m’avait dit qu’il n’aimait guère les interviews, qu’il s’exprimait surtout par le dessin, mais que l’on pouvait néanmoins se voir et qu’à l’occasion il me prêterait ses dessins sur l’abbé Pierre. De fait il me confiera l’ensemble de ses dessins, sans demander de droits d’auteur à l’éditeur. Une vingtaine de ses dessins seront publiés dans les Combats de l’abbé Pierre. Lors de cette première rencontre, j’avais la boule au ventre à l’idée de rencontrer ce génie de la caricature, ce monument du journalisme, ce Daumier du XXIème siècle. Très vite, je découvrais un personnage plutôt timide, humble, respectueux, ce qui me rendait moins angoissé. Plus tard je lui avais envoyé mon manuscrit et proposé qu’ensemble nous choisissions les dessins. Mais il était très pris par la publication d’un album. Lorsque le livre est paru, nous nous sommes retrouvés dans un restaurant de Saint Germain des Prés. J’avais récupéré chez l’éditeur quelques exemplaires qui lui étaient destinés. Avant d’entrer dans le restaurant, un passant qui l’avait reconnu sur le trottoir, avait entamé la conversation ; Cabu lui avait donné l’un des exemplaires que je lui avais apporté. Généreux, il était d’une gentillesse rare, et s’il pouvait être féroce dans ses caricatures, il manifestait une disponibilité et un profond respect pour les gens qu’il rencontrait, quels qu’ils soient. Modeste, il avait une vaste culture, était curieux de tout. Très vite, nous nous sommes retrouvés dans une admiration commune à l’égard de René Dumont. Il était administrateur de la Fondation René Dumont et m’avait encouragé à prendre contact avec le délégué de la Fondation pour l’écriture d’un livre sur l’histoire de l’écologie. En juin 2011, nous nous étions retrouvés à l’Agro de Paris, dans l’amphithéâtre Tisserand où la Fondation commémorait le dixième anniversaire de la mort de l’agronome tiers-mondiste et écologiste. A la fin de la réunion, il était resté seul dans l’amphithéâtre où avait enseigné René Dumont, et avait dessiné sur son carnet cet endroit, pour un prochain dessin dans Le Canard enchaîné.