J’habite la France périphérique, celle des territoires pauvres et dépeuplés. Bien que située à une heure de la capitale, ma région paraît si lointaine culturellement et sociologiquement de Paris. Si, dans la capitale, l’on a voté à 90 % en faveur d’Emmanuel Macron, l’Aisne est le département qui a le plus voté (53 %) pour la candidate du Front National. Le score de cette dernière atteint 70 % dans mon village, dont on disait, il y a trois décennies, qu’il votait à peu près comme la France. Et ce n’est pas l’exception. Quand je croise trois personnes, je me dis que, statistiquement, au moins deux ont voté Marine Le Pen. Que s’est-il donc passé ? La crainte de l’immigré ? Il y en a si peu !, à l’exception de notre curé béninois, mais plutôt bien vu par la population. Il faut rechercher les causes de ce vote dans le déracinement social d’une région plutôt prospère au début des trente glorieuses. Depuis l’emploi agricole a chuté considérablement et les industries ont en grande partie disparu. Déjà, dans les années 1980, cette paupérisation était en marche. A l’époque, Le Point qui publiait régulièrement le classement des départements en fonction du bien-être de la population, mêlant temps d’ensoleillement, pourcentage de bacheliers et nombre de lits d’hôpitaux par milliers d’habitants parmi de nombreux autres critères, plaçait les départements picards en queue de peloton. Les lacunes dans la formation étaient déjà pointées du doigt. Je me souviens avoir entendu bien des jeunes dire : ah quoi bon continuer l’école pour travailler à la ferme ou à l’usine ! Propos largement acquiescés par les adultes. Depuis la situation ne s’est guère améliorée. Les gens les mieux formés sont partis et ceux qui sont en galère se retrouvent autour de l’abribus, où il n’y a quasiment plus de bus qui passent. Difficile de répondre aux arguments de ces gens déclassés, sans espoir ! C’est pourtant la tâche, ô combien complexe, qu’aura à mener le nouveau Président de la République et son gouvernement.