Pierre Rabhi était le symbole de notre époque si pleine de contradictions. « J’ai grandi dans le chaudron de la contradiction, constamment tiraillé entre islam et christianisme, entre tradition et modernité, et entre Nord et Sud », raconte Pierre Rabhi, dans Graines de vies. Né dans l’oasis de Kenadsa dans le Sud algérien, il est confié à un couple de Français après le décès de sa mère. Au moment de la guerre d’Algérie, il débarque en France et travaille comme ouvrier spécialisé. Première déconvenue. Il pense trouver dans cette usine et dans ce pays qui a inventé les Droits de l’Homme et du Citoyen, un lieu d’émancipation. « Quand j’ai vu que ce microcosme trahissait tout ce qu’on m’avait enseigné, ça a été le début de ma toute première insurrection. »
Il dévore alors quantité de livres pour mieux comprendre ce monde dans lequel il vit, et tenter de rompre avec cet environnement aliénant. En 1960, il quitte Paris et s’installe dans l’Ardèche, se forme dans une maison familiale rurale et devient ouvrier agricole. « L’agriculture, écrit-il, nous paraissait être l’activité la mieux à même de mettre en cohérence nos idées avec notre mode de vie, et de réaliser cette utopie. » Nouvelle désillusion : il travaille dans une exploitation arboricole et passe ses journées à pulvériser les arbres fruitiers de substances chimiques. Il envisage de quitter l’agriculture quand il découvre le livre, La Fécondité de la terre d’Ehrenfried Pfeiffer, l’un des précurseurs de la biodynamie en agriculture. Il choisit alors de rester dans le métier mais de le pratiquer différemment.
Il reprend une terre aride et caillouteuse d’une vingtaine d’hectares autour d’une maison qui menace de s’écrouler. Pendant treize ans, avec sa femme et ses cinq enfants, alors que la banque lui a refusé un prêt de 15 000 francs, il vivra sans électricité, sans téléphone, avec très peu d’eau. Ce déraciné fait néanmoins de ce hameau de Montchamp le lieu de son enracinement. C’est sur cette terre difficile qu’il découvre l’écologie. « L’écologie est arrivée comme ça. En soignant et en respectant un petit morceau de terre pour faire vivre ma famille, j’avais l’impression d’être relié à la terre entière et à tous mes semblables sur cette terre. » Il devient un expert de l’agro-écologie, mondialement reconnu, écrit de nombreux livres, est sollicité de partout, du Maroc au Bénin, de l’Ukraine à la Mauritanie. Juste avant d’être assassiné, Thomas Sankara, le président du Burkina Faso lui demande d’expérimenter ses conceptions agro-écologiques à Gorom Gorom. Les rendements augmentent, la biodiversité est sauvegardée et les sols sont protégés de l’érosion. La princesse Constance de Polignac, qui appartient à l’une des plus nobles lignées de l’aristocratie française, a fait appel au fils de forgeron du Sahara pour transformer sa propriété de Kerbastic en un modèle d’agro-écologie.
« De ses propres mains, écrivait son ami, le violoniste Yehudi Menuhin, dans la préface du livre Parole de terre, Pierre Rabhi a transmis la vie au sable du désert, car la vie est UNE, et la féconde transformation bactérienne rend au sable lui-même le don de pouvoir renouveler les espèces. Cet homme très simplement saint, d’un esprit net et clair, dont la beauté poétique du langage révèle une ardente passion, cet homme a fécondé des terres poussiéreuses avec sa sueur, par un travail qui rétablit la chaîne de vie que nous interrompons continuellement. »