Marx voyait le paysan comme un rempart de l’ancienne société. Quant aux paysans, ils considéraient les partis socialistes comme des sectes de « partageux ». Opposition frontale qui fait que si les idées socialistes se sont rapidement répandues dans les ateliers et les usines, elles n’ont jamais vraiment conquis le monde paysan. D’ailleurs peu de dirigeants socialistes s’intéresseront à la paysannerie. A l’exception notable de Jean Jaurès, fils de bourgeois appauvris, mais qui a passé une grande partie de sa jeunesse dans la petite ferme de six hectares exploitée par son père. Il y découvre la précarité des conditions d’existence à la campagne. Ce qui marquera sa façon d’appréhender les grands problèmes.
L’historien Rémi Pech, dans son livre Jaurès paysan, publié chez Privat, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Jean Jaurès, se démarque des nombreuses biographies qui, pour la plupart, occultent sa filiation au monde paysan. Pourtant Jaurès revendiquait cet héritage. Un jour, alors qu’il venait donner une conférence sur Tolstoï à Toulouse, Vincent Auriol lui faisait remarquer qu’il portait un veston usager qu’on peut porter à la campagne, mais pas à la ville. Jaurès lui répondait : « Mais, Auriol, je suis un paysan. Un paysan cultivé. » Au Parlement, Jaurès, élu d’une circonscription (Carmaux dans le Tarn) composée de paysans et d’ouvriers, interviendra fréquemment dans les débats agricoles. Face aux partisans de Jules Guesde qui souhaitaient l’appropriation collective des terres, Jaurès faisait la différence entre la grande propriété, forme de capital, et la petite propriété, forme de travail et défendait les coopératives. A l’heure où la crise frappe durement les campagnes françaises, il n’est pas inutile de lire certains textes de Jaurès en annexe du livre de Rémi Pech. Son souci de transformer les campagnes sans les détruire pour maintenir un équilibre vital dans la société n’est-il d’actualité ?