Pour beaucoup de citadins contraints au confinement dans des espaces réduits, le bonheur est désormais au jardin, avec ce rêve de changer de lieu de vie et de redonner sens à sa vie. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il prend de l’ampleur, du moins dans les intentions. Deux publications récentes, le trimestriel Zadig qui titre en couverture Changer de vie et le magazine Village avec un dossier leur nouvelle vie à la campagne témoignent de nombreux exemples de réussites d’une conversion (non sans difficultés le plus souvent). On y croise un ex-gendarme devenu chevrier, une ingénieure reconvertie en boulangère bio, une calligraphiste recyclée en bergère, un directeur de la communication qui a choisi la restauration… Trait commun de ces changements de cap : redonner du sens à son travail, quitte à y perdre (parfois beaucoup !) en termes de revenu.
C’est vrai qu’entre parcellisation et complexité des tâches, on s’y perd. Il suffit de lire certaines définitions de carrière, au verbiage truffé d’anglicismes et de concepts fumeux, à se demander ce que ces métiers (notamment dans les secteurs du marketing, du management ou de la finance) recouvrent véritablement. Des sondages réalisés, il y a quelques années, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni montraient que 37 à 40 % des personnes interrogées reconnaissaient que la disparition de leur emploi n’aurait aucune incidence. L’anthropologue et économiste américain, David Graeber, décédé ces derniers jours, avait théorisé ce malaise dans Bullshit Job, titre de son livre paru en France et que l’on peut traduire par « boulots à la con », dans lequel il estimait que la technologie avait créé des emplois inutiles, superficiels et vides de sens. Bien avant la pandémie, ce contempteur du capitalisme, auteur également d’un magistral ouvrage Dette : 5000 ans d’histoire, avait montré ce paradoxe que plus un travail est utile à la société, moins il est rémunéré, et que les premiers de corvée étaient plus essentiels que les premiers de cordée…