En mai 2015, la CUMA de Breny fête ses cinquante ans. Retour avec l’un des fondateurs, René Lefèvre, sur les origines de cette coopérative de proximité qui permet à des agriculteurs d’acheter du matériel en commun et de travailler ensemble.
Les CUMA (Coopératives d’utilisation de matériel agricole) sont nées à la Libération, à l’initiative de François Tanguy Prigent, ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement du gouvernement du général de Gaulle. A l’époque les tracteurs étaient rares et distribués prioritairement dans le cadre du Plan Marshall aux prisonniers de guerre et aux adhérents des CUMA. D’où la création de nombreuses CUMA à la Libération, dont bon nombre seront bidon. Par la suite la situation s’est assainie et la « révolution silencieuse » des années 1960 a permis le développement des CUMA en France.
C’est dans ce contexte qu’à l’initiative d’agriculteurs de Breny et d’Armentières-sur-Ourcq est née l’idée de créer une CUMA. « En 1960, raconte l’un des fondateurs, René Lefèvre, qui présidera pendant vingt-sept ans la CUMA de Breny, Emile Bocquet, agriculteur à Armentières, est venu me voir ; il avait des problèmes de santé et souhaitait qu’on puisse effectuer ensemble l’arrachage de betteraves. J’en ai parlé à mon frère, Roger Lefèvre, et à Roger Vernier. Nous avons décidé ensemble d’acheter une chargeuse à betteraves et un pulvérisateur en copropriété. En 1965, l’arrivée d’un quatrième adhérent, Lucien Breton, agriculteur à Breny, nous a permis de constituer une CUMA, la seconde dans l’Aisne. Il est vrai qu’à l’époque créer une CUMA n’était pas très bien vu par les organisations agricoles, en particulier dans l’Aisne. Nous étions considérés un peu caricaturalement comme des collectivistes, le président de la Chambre d’agriculture de l’époque nous avait dit que nous étions des courrois de transmission du Parti communiste. Heureusement depuis, les esprits ont évolué. »
« Pourtant nous avons été pionniers, poursuit René Lefèvre, en établissant un partenariat avec l’Institut technique de la betterave et le syndicat betteravier pour mettre en place un chantier pilote de récolte de betteraves avec du matériel en location sur deux années. Matériels que nous avons achetés par la suite. De même, nous avons été les premiers dans la région à expérimenter un semoir de précision monograine, évitant ainsi le travail de démariage des betteraves. »
Dans les années qui vont suivre, deux agriculteurs de La Croix-sur-Ourcq, Jean-Guy Le Roux et Pierre Dupuis ont rejoint la CUMA, puis d’autres comme la communauté des Frères Missionnaires des Campagnes au prieuré de Montigny. Le parc de matériels s’est élargi, notamment avec l’acquisition d’une moissonneuse batteuse et d’une presse haute densité pour la moisson, ainsi que d’une ensileuse pour l’ensilage du maïs. « Nous sommes restés longtemps une quinzaine d’adhérents très soudés, poursuit René Lefèvre. Nous avions à l’époque en fonds de roulement un an d’avance. Ce qui nous permettait de ne facturer les travaux que l’année suivante. Nos prestations étaient 50 % inférieures à celles des entreprises de travaux agricoles. Cela permettait à des petites ou moyennes exploitations, dans un contexte parfois difficile de passer le cap plus facilement. »
« Présider une CUMA est une tâche très prenante, qui demande beaucoup de disponibilité et suppose d’être en lien constant avec tous les adhérents », souligne René Lefèvre qui, en 1992, passe le relais à Jean-Pierre Bocquet, qui demeure aujourd’hui encore la cheville ouvrière de la CUMA, même s’il n’en est plus le président (le président actuel est Antoine Tassart). A l’époque, le projet d’acheter une automotrice pour l’arrachage des betteraves est dans l’air. Mais la défection de jeunes agriculteurs ne l’a pas permis, du moins dans un premier temps. Les travaux furent réalisés durant quelques années par un entrepreneur de travaux agricoles, avant l’acquisition au début des années 2000 d’une automotrice. Depuis la CUMA de Breny a abandonné le chantier de récolte de betteraves.
Au cours des dernières années, le nombre d’adhérents a fortement augmenté, une cinquantaine, bien au-delà de la région de Breny, dont beaucoup pour un seul outil. De même le parc de matériels s’est diversifié. Quant à l’avenir, comme beaucoup de structures collectives qui vont à contre-courant du mouvement général de la société marqué par l’individualisme, ce sont les nouvelles générations qui, en s’engageant plus activement qu’elles ne le font aujourd’hui dans la vie de ces structures, pérenniseront ou non la CUMA de Breny et en feront ou non, dans vingt-cinq ans un septuagénaire alerte !