Beaucoup ont salué le couronnement de nos deux lauréats du Nobel 2014, comme un pied de nez à tous ceux qui déplorent souvent avec suspecte délectation le déclin de notre pays. J’y vois aussi une revanche des timides et un éloge de la discrétion. Patrick Modiano, prix Nobel de littérature, et Jean Tirole, prix Nobel d’économie, ne prisent guère l’exposition médiatique. Malgré leurs succès passés, ils sont restés modestes. D’ailleurs le jury Nobel n’a pu les joindre ni l’un ni l’autre pour leur annoncer la bonne nouvelle. Patrick Modiano, à l’expression écrite si limpide et harmonieuse pour décortiquer la complexité des parcours humains en ces temps si troublés de l’Occupation, a bien du mal à terminer ses phrases devant les micros. Sans doute ce souci de la perfection dans l’écriture qu’il voudrait aussi dans l’expression orale ! Jean Tirole s’excusait presque de, sans doute, dire des bêtises devant les caméras de télévision, tant l’émotion qu’il ressentait alors était forte. Je les imagine bien tous deux, enfants, avoir le cœur battant trop vite quand il fallait frapper à la porte de la voisine pour demander un morceau de beurre, ou encore les joues couleur rouge pivoine lorsque leurs instituteurs les interrogeaient. Dans ce monde de l’exubérance médiatique, de l’esbroufe télévisuelle, de la parade permanente des prétentieux radoteurs extravertis qui s’accaparent les écrans, avec la seule envie d’exhiber leur égo… cela fait du bien de voir récompenser au plus haut niveau ces timides dont on apprécie la discrétion et les silences, et dont on découvre les richesses avec le temps. En fait l’histoire regorge de ces timides illustres. On évoque la timidité de ces meneurs d’hommes que furent Napoléon et Che Guevara ou de ces géants de la pensée comme Montesquieu qui confessait : « La timidité a été le fléau de toute ma vie » ou Jean-Jacques Rousseau, qui, dans Les Confessions, écrivait : « S’il faut agir, je ne sais que faire. S’il faut parler, je ne sais que dire. Si on me regarde, je suis décontenancé ».