Après avoir traité dans un précédent billet de l’impact de mai 1968 sur la condition des salariés agricoles, voyons comment le monde agricole a vécu ces événements. Mai 1968 se situe en plein cœur des grandes mutations, conséquence des lois d’orientation Debré Pisani de 1960-1962. Depuis 15 ans, deux millions d’actifs ont quitté l’agriculture. Des difficultés surgissent : crise laitière, intégration des firmes dans le porc et l’aviculture, crise de l’artichaut… En Loire-Atlantique, la FDSEA s’est rapprochée depuis le début des années 1960 des syndicats ouvriers, notamment via les mouvements d’action catholique. Si bien que le 24 mai 1968, 2 000 paysans investissent le centre-ville de Nantes et mêlent leur colère à celle des ouvriers et des étudiants, rebaptisant la Place Royale en Place du Peuple. Une exception, car, majoritairement les agriculteurs sont plutôt gaullistes ; ce qui n’était pas le cas dans les débuts de la Vème République. Cette contestation en Bretagne, sous la houlette notamment de Bernard Lambert, ancien de la JAC, qui fut député MRP avant de se rapprocher du PSU, et auteur d’un livre Les paysans dans la lutte des classes, va avoir des effets dans l’organisation syndicale, notamment au sein du CNJA, où deux tendances s’affrontent. En octobre 1968, lors de son congrès national, Bernard Thareau, représentant l’aile gauche, manque de 2 voix (sur 57 votants) la présidence du CNJA. Jusque dans les années 1970, les rapports de force seront équilibrés notamment à la FRSEAO ou au CNJA entre les tendances de droite et de gauche. En 1970, Bernard Lambert est exclu à la tête de la Fédération de l’Ouest. Entre-temps Michel Debatisse devenu président de la FNSEA décide de l’exclusion des leaders de l’aile gauche, contre l’avis de Raymond Lacombe et des représentants des céréaliers de l’époque qui souhaitent maintenir un certain pluralisme. Cette exclusion entraînera la création de nouvelles organisations comme les Paysans Travailleurs, ancêtres de l’actuelle Confédération paysanne.