Dureté du monde des affaires. Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, a récemment été évincé de ses fonctions pour manque de performance financière. Une personnalité atypique, dans une entreprise qui l’était tout autant, dans le sillage de ce credo de gouvernance initié par Antoine Riboud : « Pas de richesse économique sans développement humain ». Lecteur de Kant et de Derrida, Emmanuel Faber, ancien banquier d’affaires, qui n’hésitait pas à consacrer quelques heures par semaine à accompagner des malades en soins palliatifs, était devenu le numéro 1 d’un des leaders mondiaux de l’alimentaire. Il avait raconté son parcours dans Chemins de traverse – Vivre l’économie autrement (1) paru après la crise de 2008. Il y dénonçait l’irrationalité des acteurs de la finance, cet argent que l’on appréhende non plus comme un flux mais comme un stock, ce cynisme individuel qui remplace le sens de l’aventure collective, et donnait quelques pistes pour montrer qu’ « un autre monde est possible », comme ce partenariat avec le Prix Nobel de Paix, inventeur du micro-crédit Muhammad Yunus, ainsi que de nombreux autres projets du groupe Danone dans le monde, en vue de créer une économie rurale durable autour de l’agriculture locale pour assurer un premier échelon de sécurité alimentaire.
Dans ce livre, il s’interrogeait sur ce qui sera à l’origine de son éviction : la maximisation du revenu des actionnaires si contraire à l’idée d’un juste partage de la valeur. « Construit-on, écrit Emmanuel Faber, la même économie et donc la même société à long terme, lorsque l’on doit globalement générer à court terme un rendement annuel de 5 %, ou de 15 %, ou de 25 % ? » Est-il raisonnable de demander des rendements autour de 15 %, comme dans ces folles années 1980, alors que les taux d’intérêt sont tombés à 0 % et que la croissance a été diminuée de moitié ? Et puis ces taux de marges insoutenables sur le plan social et environnemental sont-ils compatibles avec l’idée de rémunérer équitablement le producteur de lait ?
- Chemins de traverse – Emmanuel Faber – préface de Frank Riboud – Albin Michel – 19€