« Il y a un verrouillage culturel du sol parce qu’y pénétrer sent le sacrilège et la mort », déclarait le pédologue Alain Ruellan, ajoutant : « Ne faut-il plutôt dire que le sol c’est la vie, car nous sommes nés du sol. » En effet le sol a longtemps été considéré comme un support inerte que l’on pouvait exploiter comme un gisement. Ainsi les civilisations sumérienne et maya ont disparu pour avoir abusé de leurs sols. Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour comprendre toute la complexité et la diversité des sols, avec la création par le russe Doukoutchaev de la pédologie, science des sols, promue en France par Albert Demolon, sans oublier les travaux de Charles Darwin, dans les années 1830 sur les vers de terre.
Mais pendant longtemps, dans le domaine de la fertilisation, on s’intéressera essentiellement à la plante. Il faudra attendre les années 1980 avec les travaux du microbiologiste des sols, Claude Bourguignon, auteur du livre Le sol, la terre et les champs (1), qui tentera non sans mal d’initier une approche nouvelle, plus globale, plus scientifique autour de l’idée qu’il faut non pas forcer la nature mais l’aider et considérer le travail de l’agriculteur comme une cocréation avec la nature. Idée reprise notamment aujourd’hui par Marc André Selosse, professeur au Muséum d’Histoire naturelle et auteur de L’origine du monde (2), un livre qui nous fait découvrir ce monde méconnu pour nous aider à retisser notre lien perdu au monde naturel. Depuis les choses évoluent, avec le développement des techniques de conservation des sols, qui protègent cette importante faune souterraine, signe de bonne santé de la terre.
Une prise de conscience qui atteint même le secteur de la culture. L’an passé, l’ouvrage du philosophe Gaspar Koenig, Humus (3), figurait parmi le dernier quarteron de la sélection du Goncourt. Enfin ces derniers jours, le Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges a fait des terres son thème central. Signe qu’au-delà des sols, notre regard sur le vivant évolue considérablement…
1/ Edition La manufacture/Sang de la terre – 190 pages – 1989.
2/ Editions Actes Sud – 469 pages – 2021 – 25 €.
3/ J’ai lu – 509 pages – 2023 – 8,90 €.