Ce 11 novembre 2018, devant l’imposant monument des Fantômes du sculpteur Paul Landowski, qui domine la plaine du Tardenois, une brise glaciale, malgré la clémence de la température, s’est mise à souffler au moment même où débutait la cérémonie, comme pour rappeler la solennité du lieu et du moment, et les nombreuses victimes. Ainsi de 530 000 habitants en 1914, la population du département de l’Aisne passera en 1920 à 352 000 du fait des pertes civiles et militaires et de la grippe espagnole, et ne retrouvera sa population de 1914 qu’en 1975. Pourtant au cours de l’itinérance mémorielle du chef de l’Etat sur ces lignes de front, le présent semblait avoir pris le pas sur le passé : le prix du carburant sur la mémoire.
Plus justement, le présent rattrapait le passé, comme pour nous interpeller dans un même élan : n’oublions pas nos Poilus de la Grande Guerre, mais, en même temps, ne nous oubliez pas nous, sentinelles de la mémoire en plein décrochage social, attachées à nos territoires en déshérence ! Les stigmates de ces terres meurtries et la mélancolie des nombreux lieux de mémoire rappellent au quotidien la tragédie passée pour mieux souligner les souffrances présentes des populations.
Villages détruits hier, villages dépeuplés aujourd’hui, de la Meuse à l’Avesnois en passant par la Thiérache, les Ardennes ou la forêt d’Argonne, un même destin tragique affecte ces territoires arpentés la semaine passée par le président de la République ; territoires industrieux et riches avant la Première Guerre mondiale, puis oubliés par Paris. Pour exemple, l’ancienne prestigieuse route Charlemagne qui relie Paris à Aix-la-Chapelle (la Nationale 2) est toujours en deux voies sur la plus grande partie de son parcours. Ce sentiment d’abandon n’explique toutefois pas et n’excuse pas la surprenante décision des édiles de l’Aisne de fermer pour cause de travaux, deux mois avant ce 11 novembre du Centenaire, la Caverne du Dragon, haut lieu du Chemin des Dames !