L’empilement des normes, des règlements parfois contradictoires, des contrôles par trop tâtillons, autant de tracasseries administratives qui s’invitaient au cœur de la crise agricole. Ce constat dépasse largement le seul secteur agricole et n’est pas nouveau. Dans les années 1970, Alain Peyrefitte avait déjà pointé du doigt ces lourdeurs de l’administration dans son livre Le Mal français, tout comme le sociologue Michel Crozier dans Le Phénomène bureaucratique. Mais, depuis, cette addiction à la norme de l’administration française s’est considérablement accélérée. Récemment l’avocat et écrivain François Sureau déclarait que le Code pénal, modifié 133 fois en dix ans, recensait 500 infractions en 1810 contre plus de 15 000 aujourd’hui.
Plus de 350 000 articles de règlements au 1er janvier 2022 contre 215 000 en 2002, un Code des collectivités territoriales trois fois plus épais qu’il y a dix ans et un Code de l’environnement qui passe de 100 000 à un million de mots, tel est le constat que dresse Jean-Pierre Jouyet, dans son livre Est-ce bien nécessaire Monsieur le Ministre ?. Ce dernier, archétype de la haute fonction publique, qui fut ministre sous Sarkozy et secrétaire général de l’Elysée sous Hollande, reconnaît n’avoir pris conscience que récemment de ce harcèlement de normes en tous genres. Et pour cause l’administration voit dans l’abondance règlementaire la preuve de son efficacité. Le pouvoir y voit un moyen de laisser croire qu’il agit. Il est en effet plus simple pour un gouvernement de légiférer à tout va en fonction des circonstances, plutôt que de fixer un cap. Les agriculteurs, les entreprises, les collectivités, les citoyens y voient une forme de harcèlement.
Au fond cette inflation de normes ne traduit-elle pas une récurrente et indéfectible méfiance de l’Etat et de son administration à l’égard de ces « gaulois réfractaires » ? Une spécificité française ! Durant le confinement, alors que les autorités nous imposaient de remplir une attestation pour aller faire nos courses, un journal allemand avait titré à propos de la France : « Voyage en absurdie ».